David Season : Bonjour Brigitte Kernel, vous êtes écrivain, journaliste littéraire, vous avez animé plusieurs émissions littéraires et vous faites partie de l’équipe de direction du Théâtre Les 3S. Comment avez-vous été amenée à faire partie de cette aventure de la direction de ce lieu prestigieux à Avignon ?
Brigitte Kernel : C’est une rencontre entre quatre amies, on avait chacune la volonté de faire quelque chose pour et dans le théâtre. Au départ, il y a Sylvia Roux, deux fois récompensée 《Meilleure comédienne au Off》. Ça fait très peu de temps qu’elle a laissé le studio Hébertot pour s’occuper d’Avignon, qui est une ville qu’on aime particulièrement.
Bénédicte Ouvry, elle, a dirigé des salles de cinéma, donc était déjà dans des choses très culturelles, et Nathalie Lecordier est passionnée par la lecture et s’est toujours investie dans l’aide plus sociale, donc les enfants en difficulté, les violences faites aux femmes, dans des sujets d’actualité dont il faut parler.
Quant à moi, je faisais, il y a longtemps, des chroniques théâtre chez José Artur. J’ai écrit pour Le Matin de Paris pendant longtemps. J’écrivais notamment des articles sur de jeunes comédiens et donc même si j’ai un cursus essentiellement littéraire à France Inter où j’ai été pendant 25 ans journaliste littéraire en animant des émissions littéraires, c’est une passion qui remonte à l’enfance et quand on s’est rencontrées toutes les quatre, ça a été un coup de foudre d’équipe, on était toutes très enthousiastes, on était toutes souvent à Avignon.
On a commencé à travailler ensemble, au début sur des productions, et puis de fil en aiguille, comme ça se passe entre amis, on a passé du temps ensemble et on a commencé à rêver et le rêve s’est transformé en réalité, voilà. Et c’est vraiment une histoire de rencontre au départ et de passion pour chacune, pour le théâtre et le spectacle vivant.
Et justement, cet amour du spectacle vivant, d’où vous vient-il ?
Je crois qu’il vient de très très loin puisque je suis toujours allée au théâtre même quand j’étais adolescente. Je vous dis : j’avais vingt ans, au Matin de Paris, on m’a donné des chroniques théâtre. À vingt-sept ans, je travaillais à France Inter et je faisais des coups de cœur théâtre.
Donc, c’est presque génétique, c’est comme l’écriture, ce sont mes passions.
Et comment sélectionnez-vous les spectacles qui sont programmés au Théâtre les 3S ?
Alors ça, c’est vraiment au coup de cœur, c’est-à-dire qu’on va voir chacune des pièces.
Sylvia va en voir beaucoup plus que nous parce qu’elle connaît très très bien le milieu, les comédiens.
Nous, on va voir également des choses et c’est au coup de cœur complet. Par exemple, Bénédicte Ouvry est allée en Suisse et a vu le spectacle Swing Gum avec un danseur et une chanteuse, dans une énorme production. Elle ne connaissait pas du tout ces artistes suisses. Elle a eu un tel coup de cœur qu’elle a décidé de le produire.
J’ai écrit un livre il y a quatre, cinq ans sur Léonard de Vinci. C’est comme ça que Sylvia et moi nous sommes rencontrées d’ailleurs.
Elle avait envie d’adapter Léonard de Vinci pour tout public, en one-man show. On a commencé à travailler ensemble. La pièce a été montée et ça a tellement bien marché que j’ai écrit un autre livre pour la jeunesse sur l’enfance d’Albert Einstein. Il y a eu deux productions.
Dans la nouvelle production, Sylvia Roux incarne les dix-sept personnages.
Dans ce métier de directrice dans une équipe collégiale de direction, qu’est-ce qui vous plaît le plus ?
Je trouve que c’est le travail avec des troupes. Je suis très troupe, j’adore les gens. Je crois qu’on a ça en commun toutes les quatre. On aime profondément les artistes, on les comprend. L’amour des textes, bien sûr, l’amour du jeu, tout ça participe à une espèce d’élan collectif. Je trouve ça fabuleux.
Quand on écrit des livres, on est enfermé tout seul à longueur de temps. Virginie Despentes le disait dans un article récemment. Elle aussi se plonge un peu dans le théâtre. Évidemment, c’est Virginie Despentes, ce n’est pas moi. On est quand même un William au-dessus. Elle dit que ça lui permet d’être dans des aventures collectives parce que l’isolement de l’écriture n’est pas toujours facile. J’aime osciller entre des périodes très longues de solitude complète où j’écris et de travail collectif, j’adore la troupe, j’adore les bandes de copains.
Si on crée quelque chose, on est les quatre. On est toutes les quatre, pareilles. On dirait toutes la même chose sur l’élan et le travail de troupe.
J’avais une question plus personnelle. Vous êtes originaire de Nancy.
Est-ce que cela compte beaucoup pour vous, à la fois comme écrivain et comme directrice de théâtre ?
Je suis vosgienne au départ. Je suis née dans les Vosges, dans une petite ville qui s’appelle Ramberbillers.
Ça, j’y tiens beaucoup. Je suis vosgienne, mais je suis aussi nancéienne. Je suis arrivée à Nancy vers l’âge de deux ans.
Dans les Vosges, en revanche, j’ai toute ma famille et j’aime y retourner régulièrement. Nancy, ça représentait quelque chose de très important pour moi parce que c’est là que j’ai fait mes premières armes d’écriture si je puis dire. C’est là que j’ai commencé à envoyer des manuscrits à des éditeurs. C’est là que j’ai rencontré des gens qui ont jalonné ma vie dans le théâtre, notamment parce que ma meilleure amie était Solveig Dommartin, l’actrice des Ailes du désir. C’était ma meilleure amie à partir de l’âge de seize ans. Elle faisait du théâtre. J’allais beaucoup au Cabo de la Roële à Nancy. Je me suis même essayée au théâtre, mais ce n’est vraiment pas mon truc. C’est tout un itinéraire qui s’est fait à deux jusqu’à l’âge de dix-neuf ans à peu près.
J’ai rencontré aussi des gens qui écrivaient, KaS Product, qui était là-bas. Nancy était une ville effervescente, un peu comme Rennes et La Rochelle. Beaucoup de gens écrivaient, faisaient des choses. Il y avait CharlElie Couture, Tom Novembre.
Il y avait les KaS Product qui ont apporté la musique électronique en France. Il y avait une espèce de jubilation. On était toujours tous ensemble. CharlElie Couture était plus vieux que nous, donc moins lui. On créait des choses. On passait des nuits ensemble.
Des choses pour nous, pour nous faire plaisir. Je pense que tout est parti de là, d’où l’idée de troupe.
Justement, pour rebondir sur ce que vous disiez, vous avez fait de belles rencontres. Lesquelles vous ont le plus apporté et pourquoi ?
À Nancy, c’est sûr que c’est Solveig Dommartin. On a vraiment grandi ensemble à partir de l’âge de seize ans. Quand je dis grandir, ça veut dire par rapport à l’art, par rapport aux dates, par rapport à l’écriture. J’ai rencontré en 1985, lors d’un voyage de presse, Françoise Sagan. C’était vraiment improbable. J’étais toute seule journaliste. On a sympathisé.
Plus tard, j’ai rencontré Andrée Chedid avec laquelle j’ai fait un livre d’ailleurs. Entre Nil et Seine, je crois, on l’a signé toutes les deux.
Ce sont des gens qui m’ont fait comprendre que mon truc, c’était l’écriture.
Après, pour la radio, il y a Eve Ruggieri, José Arthur qui ont été ma maman et mon papa de radio. Si vous voulez, j’ai eu une chance folle parce que j’étais assoiffée de culture et de créations.
La vie, après, est faite de rencontres. J’ai même été attachée de presse. Dites-vous bien, quand j’avais vingt ans, j’étais attachée de presse du Théâtre de Dix Heures.
Quel est votre meilleur souvenir comme écrivain ?
Je ne peux pas vous dire que j’ai un meilleur souvenir. Parce que, par exemple, le livre qu’on a écrit avec Andrée Chédid, c’était juste magique. Ça, c’est un très bon souvenir.
La rencontre avec Sagan, quand elle me disait qu’il ne s’agit pas de vouloir écrire, il faut écrire, il faut s’y mettre. Ça, c’est une très grande rencontre. Après, vous savez, j’ai interviewé cinq mille écrivains.
Autant vous dire que je suis incapable de vous dire lequel m’a le plus marqué. À part Sagan, Andrée Chedid.
Mais, vous-même, dans le processus d’écriture, quelle est la plus grande satisfaction que vous ayez eue ? Dans votre processus d’écriture, quel livre est différent des autres, vous plaît le plus, par exemple ?
Pour moi, le dernier es important dans le sens où l’histoire s’appelle Le secret Hemingway. Je parle beaucoup de la différence dans mes livres. Je ne parle quasiment que de ça. Là, c’était l’histoire de Gregory Hemingway qui est devenu Gloria Hemingway et qui était transgenre. Je suis contente d’avoir fait ça parce que j’ai le sentiment socialement de participer un petit peu à des choses dont on parle beaucoup maintenant.
J’ai beaucoup parlé de l’homosexualité dans mes livres. Ça me paraissait une chose importante. Et puis de l’écriture elle-même parce que je trouve qu’écrire, c’est aussi s’engager, faire un contrat avec soi-même pendant un an voire deux ans.
Autrement, dans les très bons souvenirs d’écriture, je donne des cours dans une école d’écriture. Après, c’est juste magique de pouvoir maintenant transmettre à des élèves des petits outils. On n’apprend pas à écrire, mais on apprend à organiser, on apprend à structurer, on apprend à ne pas tomber dans les pièges.
Quel conseil donneriez-vous à quelqu’un qui veut être publié ?
Je lui dirais : surtout ne veux pas être publié, écris, on verra après.
L’écriture, c’est un travail de discipline. Pour moi, il y a trois mots magiques pour l’écriture : discipline, inconscience, décontraction.
Mélanger tout ça, c’est difficile, mais je pense que c’est le secret. Et travailler tout le temps, ne pas arrêter. C’est ce que je dis à mes élèves à l’école, ne pas arrêter.
Y a-t-il une question que je ne vous ai pas posée, à laquelle vous aimeriez répondre ?
Est-ce que quand on écrit enfant, on a plus de chance d’écrire plus tard ? Je pense que oui. Je pense que ça détermine beaucoup l’écriture, même si on écrit des poésies, toutes sortes de choses, des mots.
Je pense que ça conditionne beaucoup, et puis la lecture, évidemment. Il faut mettre des livres dans les pattes des enfants. Parce que quand je vois des écrans, je ne dis pas qu’il ne faut pas montrer des jeux aux enfants et des histoires à travers les écrans, parce que ça ouvre sur l’idée d’écrire des histoires.
Je pense que ça se fait dans l’enfance tout ça.
Est-ce qu’il faut avoir des failles quand on écrit ? Je pense que oui. Je pense qu’il faut avoir des choses qu’on n’a peut-être pas réglées dans sa vie pour réussir à avancer. Je ne pense pas que le bonheur favorise l’écriture.
Tout ça n’est pas pessimiste. Je suis relativement heureuse dans ma vie. Mais on sait que le bonheur, c’est des touches éparses.
Ça doit donner confiance aux gens qui ont de gros pépins. Quand on a traversé pas mal de choses, je pense que l’écriture s’affine.
