David Season : Bonjour Romain Pirosa, bonjour Maxime Minault. Vous êtes comédiens, vous jouez en ce moment dans La Visite de l’Homme en Gris. Est-ce que vous pouvez me parler de votre formation et du lieu dont vous êtes originaire ?
Romain Pirosa : Pour ma part, je suis originaire de Toulon, sur la côte d’Azur. Je suis arrivé à Paris il y a dix ans. J’ai commencé le théâtre quand j’avais sept ans. J’ai toujours voulu en faire mon métier. J’ai intégré une compagnie pour apprendre le théâtre. J’ai arrêté pendant deux, trois ans parce qu’à ce moment-là, je me consacrais à mes études, en pensant que j’étais loin de Paris, que mon rêve était inaccessible en province. En fin de compte, j’ai décidé que j’avais vraiment envie de tenter ma chance.
Je suis arrivé à Paris, j’ai fait un an dans une école privée, l’Académie d’Oscar Sisto. J’ai tenté les concours de conservatoires d’arrondissement. J’ai été pris au conservatoire Frédéric Chopin dans le 15ème.
Là-bas j’ai fait trois ans et je suis parti bosser même si pendant ma formation je travaillais un peu. J’ai essayé de trouver des pièces, de passer des castings…
Maxime Minault : De mon côté, je viens du Médoc, dans la région bordelaise. Un peu comme Romain, je fais du théâtre amateur depuis que je suis tout petit dans une compagnie, dans un petit village où j’habitais. Un petit village de 600 habitants.
Ça m’a beaucoup plu. Je n’ai pas eu l’idée d’en faire un métier tout de suite. J’ai fait des études « normales ».
À 18 ans, j’ai passé des concours pour des écoles d’ingénieurs. J’ai fait une prépa, Maths Sup. Mais ça ne m’a pas plu, donc je n’ai pas fait Maths Spé. Je suis aussi allé à l’université en maths et en géographie. Et c’est à 22 ans, après réflexion, que finalement je me suis inscrit au Cours Florent. J’ai fait les 3 ans de formation. Et à Paris, j’ai commencé à chercher du travail. J’ai travaillé dans différentes pièces. Et il y a une petite dizaine d’années, je suis retourné à Bordeaux pour m’occuper de la programmation et du côté artistique d’une salle qui venait d’ouvrir, La Grande Poste.
Je faisais un peu moins comédien, je faisais un peu plus directeur artistique et programmateur. J’ai un peu joué à Bordeaux tout de même.
Je suis revenu à Paris : j’ai relancé une compagnie, il y a cinq ans de ça à peu près, avec des pièces que je choisis en tant que chef de projet et dans lesquelles je joue.
David Season : Comment vous êtes-vous rencontrés tous les deux ?
Maxime Minault : C’est la suite logique de ce que j’expliquais. Pour la compagnie que j’ai créée, j’ai écrit une pièce qui s’intitulait Génération Étonnante d’Émotions Kontradictoires, qu’on simplifiait en GEEK. C’est une pièce interactive où le public est un peu comme un joueur de jeu vidéo. Il fait des choix qui influent sur l’action de la pièce. À différents moments, on arrête, on demande : « Vous avez vu la situation, maintenant qu’est-ce qui va se passer ? »
Et le premier choix, c’était : « quel est le personnage principal ? » On avait trois personnages… cette pièce, je l’ai écrite, je jouais dedans, mais il fallait plusieurs personnages. J’ai fait passer des castings, et c’est à ce moment-là que Romain a été pris.
Romain Pirosa : En 2022, Maxime cherchait un alternant pour l’un des comédiens. J’ai passé le casting, parce qu’il y avait une pote à moi qui était dans sa pièce, et qui m’en avait parlé, et j’ai été retenu, c’est comme ça qu’on a commencé à travailler ensemble.
David Season : Et comment avez-vous eu connaissance du texte d’Al Davis ? Qu’est-ce qui vous parle dans sa pièce ?
Maxime Minault : Après le projet GEEK, premier projet sur lequel on a travaillé, La Visite de l’Homme en Gris est le deuxième projet de la compagnie.
En réalité, Al Davis est un pseudonyme. Il s’agit d’un auteur français que je connais. Je savais qu’il écrivait beaucoup, et je lui ai donc demandé de me proposer des pièces où il me verrait bien jouer. Il m’en a envoyées une dizaine à peu près, je les ai toutes lues, et celle-là m’a le plus plu.
J’ai contacté Loïc Lacoua, le metteur en scène, pour lui dire « bon ben voilà, Al Davis m’a envoyé tant de pièces, j’aimerais que tu en mettes une en scène. Je t’en envoie cinq, les cinq que j’avais présélectionnées, laquelle tu préfères ? ». Et il se trouve que celle qu’il préférait, c’était la même que moi, donc La Visite de l’Homme en Gris. On s’est mis d’accord pour monter cette pièce, et on a commencé à réfléchir, enfin Loïc surtout a commencé à chercher qui pourrait incarner l’homme en gris . L’un des premiers noms qu’il a prononcé, c’était Romain. On avait travaillé avec lui sur Geek et je lui ai dit que c’était une bonne idée, on lui a donc envoyé le texte.
Romain Pirosa : J’ai lu le texte et je l’ai trouvé très drôle, j’ai bien aimé le personnage de l’homme en gris, j’ai trouvé ça assez rigolo, cette espèce de volonté de toujours vouloir arriver à ses fins, en ayant un côté un petit peu dandy . Pour moi, il était comme ça, c’est quelque chose que j’aime bien jouer, avoir plusieurs ruptures, faire attention à ce qu’on dit, comment on le dit, mais en ayant quand même des défauts, j’ai trouvé ça très marrant de jouer ce personnage, parce que c’est drôle de voir ce mec qui est sûr à chaque fois qu’il ne va pas y arriver mais qui retente tout de même encore autre chose.
Maxime Minault : Le personnage de Léonard, lui, n’est pas toujours d’humeur égale mais il a sa vie tranquille : métro, boulot, dodo, ce n’est pas passionnant, mais ça lui convient, et là il y a cette tornade qui arrive, et lui n’oppose pas vraiment de résistance active, c’est plutôt de la résistance passive qu’il oppose, et c’est ça que j’aime bien dans le personnage, c’est-à-dire qu’il ne fait pas grand-chose, mais il réussit quand même à opposer de la résistance, jusqu’à ce que petit à petit, la muraille s’effrite, sinon il n’y aurait pas de progression, et ça serait moins intéressant.
David Season : Combien de temps avez-vous répété tous les deux ?
Romain Pirosa : L’équivalent d’un mois, du lundi au vendredi, de 9h à 17h, parfois juste des sessions de trois jours. On avait de la chance aussi de bosser entre copains, on créait quelque chose, on est parti de rien du tout, on nous a filé cette pièce. L’auteur nous a dit : « j’ai envie que vous la jouiez », et on était là en mode ok, trop bien, on a ce texte, et on a toute la création à faire, que ce soit la mise en scène, le décor qu’on a envie de faire, le jeu, comment on voit les personnages…
On prenait du temps pour expérimenter. On a fait d’abord des premières dates, ensuite on a modifié des choses : certaines qui marchaient, on les a recalées plus précisément, d’autres qui marchaient un peu moins, on les a changées, on prenait le temps de tout remettre à plat.
Maxime Minault : On a eu cinq dates de showcase, de présentation, devant un public réduit, deux sessions, l’une en décembre de l’année dernière, et l’autre en avril de cette année, pour faire quelques essais puis on a retravaillé dessus, et on est arrivé ici, à La Boussole, à Paris. Loïc Lacoua était toujours là pendant les répétitions et nous faisait des retours. C’est important d’avoir un troisième œil.
David Season : Quels sont vos projets à chacun ? Pour la suite ? Vos aspirations ?
Maxime Minault : Pour les projets, j’en ai un très précis, puisque, comme je l’ai dit, l’auteur de cette pièce m’a envoyé plusieurs pièces, et on en a sélectionné une. Il y en avait une deuxième qui me plaisait bien, qui plaisait aussi à Loïc, donc cette deuxième est déjà prévue.
Pour l’instant, on se concentre sur La Visite de l’Homme en Gris.
Romain Pirosa : Mon rêve au théâtre, ce serait de faire du boulevard, beaucoup de boulevard. Mon goal dream, ce serait de jouer dans une pièce comme Les Faux British. Pour tout : que ce soit physiquement, dans les ruptures, dans le jeu, dans la comédie. Quand j’ai vu cette pièce, je l’ai vue la première année où elle est sortie, parce que je venais d’arriver, c’était il y a 10 ans, ça a démarré en 2015. Et j’y suis allé avec quelqu’un que je connaissais à Paris, qui m’avait dit : « écoute, j’ai envie d’aller voir cette pièce ». Je lui ai répondu : « moi j’ai envie de découvrir ». Et quand j’ai assisté à la représentation, j’ai rigolé à en pleurer.
Quand je les ai vu jouer, je me suis dit : c’est exactement ce que je veux faire. Je veux jouer aussi bien, aussi précisément, avoir ce talent de rupture, cette énergie sur scène, je veux jouer ça, moi. C’est ça que je veux jouer.
La comédie, c’est ce que j’aimerais faire. Après, j’aime aussi beaucoup le contemporain, le drame, quand ça raconte quelque chose.
J’aime bien les pièces un peu comme Numéro Deux, des choses qui racontent une histoire. C’est ni drôle, ni triste, mais ça raconte quelque chose, on peut le prendre de toutes sortes de façons. Ce genre de pièces aussi m’attire. Pour l’instant, je n’ai pas de projet concret et précis, mais on verra bien.
Maxime Minault : Moi, ce que j’aime dans le théâtre, c’est un peu ce que disait Romain tout à l’heure. Quand on a travaillé sur cette pièce, on a été vraiment trois amis.
C’est le fait de créer quelque chose ensemble qui me plaît vraiment. Je suis plutôt sur la comédie.
Il y a la compagnie que j’ai créée, il y a aussi la salle de spectacle qui est à Bordeaux, où je travaille. Mes aspirations, c’est plutôt de créer avec un esprit de troupe, m’entourer de gens que j’apprécie.
Je ne me mets pas de limite sur le style.
David Season : Un souvenir marquant, peut-être ?
Romain Pirosa : Il y a deux ans, à Avignon pour Geek.
Il y a des fêtes de théâtre tout le temps et je suis à la fête du Roi René (un théâtre réputé d’Avignon, ndlr). Je suis avec notre metteur en scène de l’époque. On parle un peu des gens, du travail. On évoque mon énergie : sur scène, j’adore utiliser l’énergie, surtout dans la comédie. Pour moi, c’est ultra important. Sauf que quand j’ai commencé vraiment à le faire, je débordais d’énergie.
Ça a été très compliqué de la canaliser, de la maîtriser. Il me fait alors remarquer : tu vois, cette personne là-bas, elle a beaucoup d’énergie.
Je regarde ce mec : je le connais.
En fait, c’était un des comédiens que j’avais vu dans Les Faux British. Il m’avait énormément marqué par sa justesse, son travail et ce qu’il donnait. Il était distribué dans un rôle que je ne pouvais pas jouer à mon âge, et même maintenant, je ne peux toujours pas le jouer parce que je n’ai pas l’âge requis.
C’est vraiment le rôle que j’aimerais jouer. Juste de le travailler, je sais que je rigolerais. Et du coup, je lui demande : « mais tu le connais ? » Il acquiesce. Sur mon insistance, il me présente. Je lui serre la main, je lui déclare : « Écoutez, je suis très fan de votre travail, de ce que vous avez fait. Je vous ai vu, il y a huit ans, et je n’ai jamais eu l’occasion de vous le dire mais je trouve que vous êtes exceptionnel, vous êtes super, ce que vous faites, c’est génial. Et sachez que je me suis beaucoup inspiré de ce que vous avez fait dans mon travail ». Je l’ai revu pendant Avignon et il m’a remercié : « tes mots m’ont beaucoup touché, m’ont fait vraiment plaisir. »
Dans ma tête, j’étais en mode c’est cool mais je le pense vraiment. C’était Yann de Monterno.
Maxime Minault : Je vais parler de la salle de spectacle de Bordeaux, salle que j’ai créée et où je travaille depuis dix ans maintenant.
J’étais donc en train de créer cette salle et je me renseignais un peu. Je cherchais l’identité du lieu, ce que je voulais faire de cette salle de spectacle où foisonnaient les activités culturelles, où on trouve aussi un restaurant, des expositions…
J’assistais à des conférences pour m’inspirer et je me souviens d’une conférence à Bordeaux que donnait une personne appartenant au milieu de la culture. Elle a formulé une réflexion qui m’a énormément marqué mais dans le mauvais sens. Cette réflexion était une croyance bien ancrée chez elle, et j’ai pensé : « ah ben mince alors, si des personnes qui sont décisionnaires dans la culture actuellement ont ce genre de croyance, c’est embêtant. »
Sa croyance, c’était que si un enfant qui entre dans le début de l’adolescence, n’a pas baigné dans le théâtre, on ne peut plus rien pour lui. Il s’intéresserait à d’autres choses, au sport, à la musique, à la culture « populaire » et c’était dit d’une manière négative. Or, ce n’est pas parce que, avant treize ans, on n’a pas été confronté à certains auteurs, qu’on ne peut pas s’y intéresser après, que c’est irrattrapable. L’auditoire lui posait des questions : il n’en démordait pas, ces jeunes étaient perdus pour le théâtre.
C’était il y a 10 ans. C’est un discours que j’ai envie de combattre.
David Season : Est-ce qu’il y a une question que je ne vous ai pas posée à laquelle vous souhaiteriez répondre ?
Romain Pirosa : Comment est-ce qu’on voit l’avenir de la pièce ?
Pour l’instant, on a notre contrat qui va jusqu’au 10 septembre. On ne sait pas comment ça va se passer, s’il y aura une prolongation dans ce théâtre et si du coup, on partira en tournée. Par contre, si ça doit continuer avec une programmation aussi intense, on fera en sorte de faire évoluer la pièce constamment, de trouver des choses qui nous plaisent et qui nous font rire. Il s’agira de détails naturellement parce que la pièce en soi est finalisée. Ce qui compte, c’est de toujours trouver du plaisir et du bonheur dans ce qu’on fait.
