Interview de Patrick Zard

David Season : Bonjour Patrick Zard. Vous êtes comédien, metteur en scène et directeur de l’Oriflamme. Vous serez à Avignon pour deux spectacles, Les Enfants du Diable et L’Hôtel du Pin sylvestre, que vous mettez en scène.

Que préférez-vous, mettre en scène ou jouer ?

Patrick Zard : J’adore les deux exercices. Jouer, c’est mon métier de base, je fais ça depuis bientôt cinquante ans. Donc c’est mon ADN.

Et la mise en scène, j’ai découvert ça un peu plus tard, et c’est devenu une vraie passion de diriger des comédiens, d’arriver à extirper d’eux le meilleur, et en m’adaptant à chaque fois à la personnalité de l’acteur ou de l’actrice que j’ai en face de moi, c’est passionnant.

Vous me disiez que pour Naïs, vous aviez des dates jusqu’en août 2026. Et donc j’aimerais savoir quel est votre rapport à Marcel Pagnol.

Marcel Pagnol, c’est toute mon enfance, j’ai été bercé par Marcel Pagnol, j’ai lu La Gloire de mon père, Le Temps des secrets, Le Château de ma mère, j’ai dévoré ses livres, j’ai vu tous les films avec Fernandel, Raimu et autres. Donc c’est vrai, j’ai baigné là-dedans quand j’étais petit… et de redécouvrir ça, on a ouvert l’Oriflamme en 2021, et donc j’ai reçu une captation que j’ai regardée sur mon ordinateur, d’une troupe de jeunes qui sortaient de cours, qui n’avaient jamais rien fait, et j’ai été scotché, quoi. C’était d’une modernité, le texte de Pagnol, de Naïs, ils ont adapté, ils ont fait l’adaptation du film de Naïs, et ils ont été, ceci dit, très aidés par Thierry Harcourt, qui est un metteur en scène brillant, que je connaissais avant, c’est aussi ce qui a attiré mon attention mais vraiment, je suis tombé complètement fou amoureux de ce spectacle.

Et je me suis dit que dans le fait d’ouvrir un théâtre à Avignon, un théâtre de plus, il y avait aussi un côté transmission, passer le relais aux jeunes. Et d’un seul coup, cette troupe qui débarquait de nulle part a pris l’horaire de 10h du matin parce que c’était l’horaire le moins cher. Ils avaient une petite production et ils ont cartonné, et c’était plein en trois jours, pratiquement. Donc, grâce à eux, je redécouvre Pagnol, cinquante ans après.

Dans Les Enfants du diable, qui sera présent pour la deuxième année consécutive à Avignon, Clémence Baron évoque la barbarie, les orphelinats à l’époque de Ceaucescu. Comment avez-vous rencontré Clémence Baron ? Qu’est-ce qui vous a séduit dans sa pièce ?

Clémence Baron m’a été présentée par Dominique Lhotte, attachée de presse de L’Oriflamme depuis l’ouverture en 2022, personnage haut en couleur, et elle a eu un coup de cœur pour le premier spectacle de Clémence, elle en a vu plusieurs. Clémence écrit beaucoup, elle est jeune, elle vient d’avoir trente ans, et elle écrit des choses très différentes : ça peut aller de la comédie de boulevard au stand-up, à une pièce beaucoup plus dure qui s’appelait Accusé, je crois, qui est un procès sur une jeune femme qui a subi une tentative de viol.

 Les Enfants du diable, qui est une pièce aussi extrêmement dure, qui relate une époque très douloureuse, qui est la découverte après la mort du dictateur Nicolas Ceaucescu et sa femme, la découverte des orphelinats mouroirs dans lesquels ces enfants étaient attachés à des lits en fer et se balançaient.

J’ai eu un coup de foudre immédiat pour cette pièce, ça m’a complètement bouleversé, retourné, ému, ça c’est le metteur en scène ou le comédien qui a réagi comme ça. Et tout de suite après, le directeur de théâtre a dit : sur une scène, qui va venir voir ça ? Les jeunes d’aujourd’hui ne connaissent même pas le nom de Ceaucescu, et les plus anciens n’auront sûrement pas envie d’aller voir un truc qui a priori peut paraître horrible, et malgré tout, le coup de cœur l’a emporté. J’ai dit : allez, on monte ça, à l’Oriflamme, et grand bien nous en a pris parce qu’on a fait un carton, on a fini complet. Donc sur un festival qui était annoncé comme difficile, avec les Jeux Olympiques, les dates avancées, festival écourté, vraiment, ça a été un accueil incroyable, et avec beaucoup de jeunes. Les deux comédiens sont jeunes, les comédiens ont trente ans.

Hier, les députés se sont prononcés en faveur du droit à la mort qui prévoit pour ceux qui tenteraient de dissuader une personne de mettre fin à ses jours, une condamnation pouvant aller jusqu’à deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende.

Qu’est-ce que ça vous inspire ?

Je ne vois pas bien le rapport avec la pièce, mais je suis assez heureux de cette loi dans son aspect général, le point juste que vous évoquez, je ne sais pas, je le découvre en vous écoutant mais en tout cas, je me dis : enfin, enfin.

Les gens qui s’opposent à ça, à mon avis, se trompent de combat, j’en suis très triste pour eux, et j’ai eu dans des amis extrêmement proches des gens qui étaient opposés à l’aide à mourir, et puis d’un seul coup, quand ils ont été confrontés à leur père, à leur mère, à une sœur qui souffrait le martyr, et qui demandait, s’il vous plaît, aidez-moi à partir, et bien ils l’ont fait, parce que quand on est humain, on va au bout de ça, et même chez des gens que je connais, des amis extrêmement croyants, par exemple, parce que là, c’est souvent les gens croyants qui s’opposent à ça, et finalement, s’ils vont vraiment au bout de leur humanité, ils accompagnent les gens.

Enfin, c’est terrible les forces qui luttent contre ça.

Évidemment que les soins palliatifs sont la meilleure des solutions. On sait très bien qu’il n’y aura jamais les soins palliatifs pour tout le monde, ça coûte tellement de milliards et de milliards. Donc s’il y a les soins palliatifs, c’est évidemment la première des solutions vers laquelle il faut se tourner, et il y a quelques cas qui sont rares dans l’ensemble, ça ne va pas être un génocide d’un seul coup de vieilles personnes, je ne le crois pas une seconde, mais il y a des cas où aider les gens à partir, c’est faire acte d’humanité, oui.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de devenir comédien ?

Je ne sais pas, c’est un peu le hasard. Ceci dit, oui, dès que j’ai été ado, j’ai aimé faire des sketchs aux fêtes de fin d’année, aller dans les écoles, dans les choses comme ça, dans les kermesses. Et puis, je me souviens, j’étais en Première ou en Terminale, et il y avait une troupe de comédies musicales amateures dans la banlieue parisienne où je résidais, c’était un spectacle qui s’appelait Nous, les marionnettes, que je n’étais pas allé voir, je trouvais le titre ridicule, je n’avais aucune envie d’aller voir ça, et puis un des gars qui jouait dedans a été appelé au service militaire, il m’a dit Patrick, toi tu aimes bien jouer la comédie et tout, je trouve que tu pourrais me remplacer, je pars faire mon service militaire, j’ai pensé à toi. Du coup je suis allé voir le spectacle, j’ai adoré, et puis voilà, je suis entré dans cette troupe, et pour la première fois, j’ai vraiment mis le pied sur une scène, en plus un endroit assez grand, assez beau, un grand théâtre de 400 ou 500 places, et alors ça a été, c’est une drogue dure, c’est-à-dire que c’est comme de l’héroïne où on prend un shoot et on est accro, moi j’ai été accro la première fois que je suis monté sur scène, qu’il y avait du public en face qui a applaudi, qui a ri, j’ai dit mais je veux que ça recommence, toute ma vie. Enfin sur le coup, je n’ai pas pensé tout de suite à faire mon métier mais en tout cas j’ai adoré tout de suite, j’ai raté mon bac d’ailleurs, j’ai dû redoubler ma Terminale pour avoir mon bac tellement je pensais plus qu’à ça, et puis après mon bac j’ai dit : voilà, je ne savais pas trop quoi faire, mais c’est ça que je veux faire. Où est-ce que je suis heureux ? C’est sur une scène. Donc voilà, j’ai pris des cours, j’ai bossé dans une banque pour payer mes cours, et puis je prenais des cours en plus après la banque, et voilà, c’est parti comme ça.

Y a-t-il des professeurs dont l’enseignement vous a marqué ?

Oui absolument, j’étais au cours de François Florent, François Florent était encore professeur, c’était un immense pédagogue, et après dans le cours j’ai été suivi plus particulièrement par un comédien qui s’appelle Yves Le Moign’, un comédien et professeur qui existe toujours, c’est un des meilleurs amis de Francis Huster, et c’était un homme qui avait un charisme incroyable, il était affligé d’une espèce de tic de nervosité, il avait le visage qui se crispait, qui se déformait avec des cris et des gestes et tout, c’était vraiment une maladie qu’il avait. Ce qui était extraordinaire, c’est qu’à partir du moment où il montait sur scène pour nous indiquer quelque chose, plus rien ne bougeait, il était d’une précision, il n’y a plus rien, plus un tic, plus un truc, il redescendait de scène et il faisait : t’as compris, Patrick ?

 Quel est votre meilleur souvenir de théâtre comme comédien ?

 J’aurais tendance à dire qu’il est très récent, parce que je viens d’enchaîner deux magnifiques spectacles, Naïs et puis Belles de scène, et Belles de scène, on l’a arrêté, on l’a joué au théâtre des Gémeaux Parisiens de début décembre à début à fin avril. La pièce était magnifique, j’avais un rôle, un double rôle extraordinaire, je passais mon temps à me changer parce que je passais d’un rôle à l’autre pendant toute la pièce. J’ai plein de souvenirs magnifiques, j’ai eu la chance d’être à la création de la pièce Les Palmes de Monsieur Schultz, qui a été un triomphe dans le monde entier, que j’ai joué quatre ans à Paris, j’ai joué 1300 fois, elle a eu quatre Molières, elle avait eu neuf ou dix nominations, voilà donc oui j’ai de très beaux souvenirs, mais le dernier rôle que j’ai fait m’a beaucoup marqué.

Quel conseil donneriez-vous à quelqu’un qui veut faire votre métier ?

C’est une question qu’on me pose souvent, je ne sais jamais quoi répondre, parce qu’il n’y a pas de réponse unique. Chacun avance, il faut être déterminé, il faut être bosseur, il faut avoir un peu de chance. Il faut être bien conseillé, il faut rencontrer les bonnes personnes et je pense qu’il y a toujours un moment, si on est doué et qu’on a envie, il y a toujours un moment où la chance passe, il faut savoir la saisir… ou pas. J’ai eu des amis en cours de théâtre qui étaient très doués et qui n’ont pas fait ce métier, il y en a d’autres qui sont beaucoup moins doués, qui travaillent tout le temps, il y a aussi une forme d’injustice.

Y a-t-il une question que je n’ai pas posée, à laquelle vous voudriez répondre ?

En fait, j’aimerais parler du deuxième spectacle que je mets en scène, L’Hôtel du Pin sylvestre, parce qu’il est très différent des Enfants du Diable. Les Enfants du Diable, c’est une pièce où il y a des sourires, mais qui est très tendue, avec un propos extrêmement fort, où on sort bouleversé.

Il y a beaucoup de gens qui sortent en larmes de la représentation.

 L’Hôtel du Pin sylvestre, c’est une comédie musicale, donc ça me ramène à mes débuts, puisque j’ai commencé avec la comédie musicale et c’est quelque chose de très léger, de très gai, et on l’a placé d’ailleurs plutôt en fin de journée pour que les gens terminent la journée avec un sourire, avec du rythme, avec de la musique. Ça rit beaucoup, il n’y a rien de grave, il n’y a que des choses légères, on est là pour s’amuser, pour se divertir, et j’aime bien que mon activité reflète toutes ces facettes, parce que je peux aimer les choses très tristes, les choses très gaies, il n’y a pas un style de théâtre qui me plaît plus qu’un autre. Du moment où j’éprouve des émotions, je suis heureux et je suis aussi très heureux avec L’Hôtel du Pin sylvestre.

L’Hôtel du Pin sylvestre se jouera à 20h20 et Les Enfants du Diable à 14h25 à l’Oriflamme, tous les jours sauf les mercredis.

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