David Season : Bonjour, Pierre Forest. Vous êtes comédien. On vous a vu à l’écran et sur scène. Vous avez joué dans une comédie musicale.Vous faites du doublage. Vous avez reçu un Molière pour votre interprétation de Coquelin dans Edmond. Qu’est-ce qui vous a séduit dans le seul en scène Solitude d’un ange gardien ?
Pierre Forest : Alors, déjà, c’est un seul en scène. J’avais envie de recommencer. J’avais fait, il y a quelques années, La Confession d’Abraham de Mohamed Kacimi, dans lequel j’interprétais Abraham lui-même. C’était une expérience difficile mais vraiment intéressante.
C’était en 2000. Vingt-cinq ans plus tard, toujours par l’intermédiaire d’ailleurs de Mohamed Kacimi, j’ai eu ce texte qui m’a plu parce que, comme on le dit, c’est un texte de solitude, de solitude d’un ange gardien.
Mais c’est quoi cet ange gardien ? C’est un gardien d’immeuble de grands ensembles. Et ce gardien d’immeuble va être mis à la retraite pour des raisons d’âge, simplement. Il est mis à la retraite à soixante-dix ans, comme tout le monde. Il ne veut pas parce que ça lui donne une raison d’être, ça lui donne une raison de vivre.
Et, bon, d’abord, il est très en colère contre les gens qui veulent absolument le mettre à la retraite, mais ça, il n’y peut rien. Il en profite pour, disons, parler un peu de la vie d’aujourd’hui. Et ce qui m’a plu, en fait, dans ce texte, c’est cette façon de parler d’aujourd’hui, vue par un homme qui est en fonction simple. Il regarde les gens, il est en regard. On ne lui demande pas son avis, mais lui, il voit tout. Souvent, il ne juge pas, parce qu’il n’a pas le temps de juger. Et puis, ce n’est pas son caractère de juger. Il reçoit malgré lui une tonne d’informations concernant les jeunes gens, les gens plus âgés, les migrants, plein, plein de gens qui sont là. Et au fur et à mesure, il nous propose un tableau d’aujourd’hui. Voilà, c’est ça qui m’a séduit.
David Season : Alors, justement, puisque vous parlez d’un tableau d’aujourd’hui, j’ai une question d’actualité que j’aimerais vous poser. Il y a une semaine, la loi sur le droit à mourir a été votée à l’Assemblée. Qu’est-ce que ça vous inspire ?
Pierre Forest : Mais moi, je suis un adhérent de l’ADMD (l’association pour le droit à mourir dans la dignité, ndlr) depuis de nombreuses années, donc je suis tout à fait en phase avec cette recherche parce qu’on a beau dire que les soins palliatifs peuvent évoluer.
Non. Il y a des soins palliatifs qui peuvent évoluer et tant mieux si les soins palliatifs évoluent, s’il y a plus de personnel, s’il y a plus de soins. D’accord mais ce n’est pas le cas. Ça va mettre beaucoup de temps encore. Et des gens qui ont une maladie Charcot, par exemple, souffrent d’une manière phénoménale. Ils peuvent encore communiquer, ce qui est important. Et ils peuvent dire stop. Et on peut les entendre. Donc moi, pour ma part, quand la personne peut dire stop, il faut l’entendre. Et il faut arrêter. C’est pas le gardien qui parlait. C’était Pierre qui parlait.
David Season : Une question plus légère. Qu’est-ce qui vous a donné l’envie d’être comédien ?
Pierre Forest : Oh, vous savez, c’est… Je dirais que toute ma carrière de cinquante ans est une réponse à cette question-là.
C’est-à-dire qu’on ne sait pas très bien pourquoi on fait ça. Bon, j’aimais les textes. Mais les textes que j’ai aimés, ce n’est pas nécessairement ceux que j’ai joués. J’aurais adoré faire, je pense, un peu plus de textes littéraires. J’en ai fait quelques-uns. J’ai joué dans des textes littéraires. J’ai joué du Molière, du Shakespeare. Moi, j’ai adoré ça.
Mais je me suis rendu compte que ce n’était pas suffisant. Il fallait aussi que j’aille gratter du côté des plus fragiles, des plus sensibles, des textes plus axés sur des vies. Je me suis rendu compte qu’il y a toujours une partie d’autobiographie dans une interprétation. Et aussi dans un choix. Je pense que si je fais du théâtre, c’est pour me donner la parole. Peut-être que je n’avais pas la parole.
Chaque personnage est une langue. Et je me dis, chaque fois, je peux parler cette langue. Alors, quand c’est un auteur merveilleux, que ce soit Obaldia ou Beckett, quand on parle la langue de Shakespeare ou la langue de Molière, c’est une langue, il n’y a aucun problème.
Mais quand on parle la langue d’une illustre inconnue comme Aude de Tocqueville, on parle la langue du personnage qu’on se crée.
David Season : Est-ce que vous pouvez nous en dire davantage sur votre parcours ? Quelles études vous avez faites ? Qu’est-ce qui vous a mené jusqu’ici ?
Pierre Forest : J’ai fait l’École Normale de Versailles pour devenir instituteur. J’ai adoré travailler avec les enfants. J’aimais beaucoup faire des ateliers. Et dans les ateliers, il y avait atelier peinture. J’aimais beaucoup le bleu. J’aimais bien les objets avec du bleu.Vous voyez le bleu Klein en peinture ? Je repeignais des objets avec du bleu.
Je faisais travailler les enfants dans des systèmes d’improvisation. C’était un peu le début du théâtre, parce que je ne connaissais pas le théâtre. Je n’avais jamais été beaucoup au théâtre. Mais j’avais des professeurs littéraires qui m’aimaient beaucoup et qui m’ont sorti.
Donc j’ai été voir du théâtre. J’ai vu des choses assez belles. Ils m’ont donné envie, pendant que j’étais pensionnaire, de monter d’abord Antigone, le rôle de Créon. On était dans une pension où il n’y avait que des garçons. Et il y avait un garçon qui voulait absolument jouer Antigone. Et son copain voulait jouer absolument Ismène. Ils m’ont demandé de jouer Créon. Donc nous avons été le trio infernal. On s’est beaucoup amusé. Le copain qui jouait Antigone, il était très Sex Pistols. C’était vraiment tout à fait la période. Et on a beaucoup ri. Mais on a travaillé comme des fous. Le professeur est venu nous aider.
Après, je suis passé à un autre texte, de Ionesco. Ça m’a beaucoup plu. Ça m’a permis de connaître un tout petit peu cet auteur magnifique que j’ai joué plus tard puisque j’ai joué Le roi se meurt.
J’ai pris une option théâtre, j’ai beaucoup lu Tchekhov.
Puis j’ai décidé d’aller prendre des cours.Et là, j’étais chez un monsieur qui était un modeste monsieur, pas loin de chez moi, Jacques Fontan.
C’est un monsieur qui n’est pas très connu, même maintenant. C’est pas quelqu’un qui a fait fortune dans l’enseignement. Mais il était formidable. Très, très près des gens. Et vraiment fort. Enfin, très fort au niveau de l’analyse des textes. Et j’ai beaucoup travaillé avec lui sur une année et demie. Et puis, comme il fallait bien vivre, je suis devenu régisseur d’une petite compagnie qui s’appelait la Compagnie Sganarelle dans laquelle j’ai joué, et en même temps, je faisais de la régie, je conduisais des camions et tout ça en dehors des cours. J’ai passé le concours de la rue Blanche, que j’ai eu. Et puis juste après, j’ai passé le concours du Conservatoire, que j’ai eu.
Je me suis dit que peut-être, de manière animale, j’avais quelque chose à faire là-dedans. Mais je n’y croyais pas, du tout. Et je n’y ai jamais cru. Moi, je suis un Saint-Thomas. Et c’est pas mal pour un comédien d’être un peu Saint-Thomas. D’avoir les pieds sur terre, en tout cas. J’ai même travaillé au Théâtre Michel quand j’étais à la rue Blanche.
Et figurez-vous qu’au Théâtre Michel, ils jouaient Duo sur canapé. C’était une pièce de boulevard. Je venais astiquer la scène et j’étais accessoiriste. Et Mme Camoletti, qui dirigeait ce théâtre, m’avait à la bonne. Je venais tous les jours, je prenais 20 balles. 20 francs. Ça coûtait 20 francs pour faire ça. J’ai travaillé beaucoup, beaucoup. J’ai toujours voulu travailler dans le théâtre.
La Comédie Française, j’y suis entré lorsqu’on faisait des auditions pour des jeunes gens.
J’étais déjà au Conservatoire et donc ils étaient venus prendre des gens du Conservatoire pour travailler avec Franco Zeffirelli pour Lorenzaccio. J’ai trouvé ça assez formidable. Mais la Comédie Française, à l’époque, ne me plaisait pas trop.
Et j’ai été engagé par Stuart Seide, j’ai été engagé par des gens comme Michel Dubois, à la Comédie de Caen. Donc en fait, il y a eu tout un truc qui a fait que je n’ai pas voulu rester là, alors qu’on me disait tu peux rester. Je ne le sentais pas. Le physique, c’est important. C’était une époque où on avait encore des emplois. La notion d’emploi a beaucoup changé maintenant.
David Season : Quel est le rôle qui vous a le plus marqué dans votre carrière ?
Pierre Forest :Dans un monologue, La Confession d’Abraham m’a beaucoup marqué.
Un personnage assez formidable, je l’ai joué quand même beaucoup. Je l’ai joué à Avignon, je l’ai joué au Rond-Point, je l’ai joué en tournée, on l’a exploité pendant quasiment trois ans. C’était vraiment un gros truc.
Et ce qui m’a le plus marqué dans une convivialité, c’est le rôle de Feste de La Nuit des Rois.
Parce qu’en plus, je chantais, et je chantais crooner. Parce qu’initialement, avant que je ne fasse du théâtre, j’ai joué beaucoup de guitare et j’ai fait énormément de groupes rock, de gamins, quoi. J’ai développé ma voix, à l’église d’abord, comme beaucoup, à l’église, parce que je chantais bien évidemment avec les prêtres… la petite chorale de l’église.
C’est Cyril de Turcagne qui avait fait la musique dans La Nuit des Rois, c’était magnifique. Et c’était Gilles Bouillon qui avait fait la mise en scène. Et ça a duré pas mal de temps. Puis j’ai travaillé plusieurs pièces avec Gilles.
J’ai aimé le rôle de Coquelin dans Edmond. J’ai trouvé une fraternité avec ce Coquelin, parce que c’est un type qui, non seulement était très doué en théâtre, ça je ne sais pas si je suis aussi doué que lui, loin de là, mais c’est surtout aussi quelqu’un qui avait un regard sur la société à l’époque, puisque c’est un des fondateurs de La Mutuelle. Avec le baron Taylor, ils ont fondé La Mutuelle des Artistes. Il avait un regard social sur le métier. Dieu sait s’il fallait l’avoir à l’époque.
Je suis membre du conseil d’administration de l’ADAMI, donc on fait pas mal de choses pour les autres aussi.
Donner des cours au Théâtre Mouffetard, ce n’était pas pour rien. C’est Pierre Santini qui m’a dit : « Et si tu faisais des cours, tu ferais quoi ? » Je lui ai dit : « C’est simple, je prendrais ta programmation et je ferais travailler à mes élèves des choses sur la programmation. S’il y a du Tchekhov, on travaillera du Tchekhov. S’il y a des choses modernes, on travaillera des choses modernes. Ça a beaucoup plu et ça a duré six ans.
David Season : Qu’est-ce que vous en gardez de cet enseignement ? Est-ce que ça vous a apporté sur le plan personnel ?
Pierre Forest : On donne beaucoup. Ce qu’on reçoit, on le reçoit quand il y a quelque chose qui se passe sur le plateau, il se passe toujours quelque chose sur un plateau.
Mais quand il se passe quelque chose sur un plateau et qu’on en perçoit la lumière, on se dit que le travail n’a pas été inutile. Mais honnêtement, c’est un peu… Je vais être sinistre en disant ça, un peu cynique : c’est à fond perdu d’enseigner.
On donne des choses, on donne des bases. On n’apprend pas aux gens à avoir du talent. On leur apprend une seule chose, lire le texte, savoir où sont les points, les virgules et savoir quelle est la couleur à donner dans un mot. Là, on est au plus proche de l’auteur. Moi, je travaille plus avec l’auteur quand je travaille avec les jeunes gens ou même des moins jeunes. J’essaie de leur faire passer ce que l’auteur a voulu dire. Le personnage, j’en ai rien à foutre du personnage. Ce qui m’intéresse, c’est que vous soyez main dans la main avec l’auteur. Votre personnage, il va peut-être venir ou peut-être pas. Au moins, vous aurez dit les mots.
C’est surtout ça qui m’importait. Il faut bien le dire, il y avait une grande disparité parmi les élèves. Certains étaient Bac+12, d’autres étaient Bac-3.
Il y avait des gens, il fallait leur donner à manger au niveau où ils étaient. Ça marche très bien. Un petit truc qui marche toujours, Les Fables de La Fontaine.
Parce que quand vous mettez une fable de La Fontaine dans les pattes de n’importe qui, il en sort toujours quelque chose. S’il a l’honnêteté de l’apprendre.
Et puis après, on donne des conseils, on révise, on fait des choses, et ça se passe très bien. Il faut chercher la joie dans un acteur, une actrice.
Moi, je suis pour un acteur gai, profondément gai. C’est-à-dire quelqu’un qui s’amuse avec lui-même, qui joue avec lui-même. Ça m’arrive de jouer et de pas être très en forme. Ça arrive à tout le monde, d’avoir une grippe.
Je m’en veux énormément parce que je peux pas rebondir à l’intérieur de moi-même. Je peux pas me déplacer. Et ça, c’est une douleur pour moi.
Je leur apprenais donc à apprendre bien le texte, à comprendre bien le texte et à pouvoir se déplacer là-dedans. Certains y arrivaient très bien.
Pierre Forest est actuellement au Théâtre de l’Oriflamme où il joue Solitude d’un ange gardien, à 13h00.
