Une Avignonnaise au caractère bien trempé.
Interview réalisée l’année dernière.
David Season : Peux-tu nous dire en quoi consiste le métier d’attaché de presse ?
Dominique Lhotte : Le métier d’attaché de presse, contrairement à ce que beaucoup croient ne consiste pas à écrire des articles de presse mais à promouvoir le travail de comédiens, d’auteurs, de chanteurs, de musiciens qui font appel à nos services pour être connus de la presse et par conséquent du grand public. Notre fonction est de les médiatiser auprès des personnes que l’on connaît : bloggeurs, presse écrite…le but étant de les mettre en avant le plus possible.
S’agissant d’un metteur en scène, peux-tu lui trouver un diffuseur ou tourneur ?
On peut être amené à aider les compagnies à trouver un tourneur ou un diffuseur pour s’occuper de la vente du spectacle, même si ce n’est pas notre fonction première.
Ce qui m’arrive aussi, c’est de trouver un metteur en scène pour un auteur ou bien l’inverse. Des comédiens veulent jouer ensemble, on leur trouve un texte.
L’attaché de presse est à la jonction de plusieurs métiers : son but est de centraliser les données pour favoriser l’émergence de la création artistique.
Pour le Festival d’Avignon, sur les trente-neuf spectacles que je représente, grâce à mon travail de recherche, plus de la moitié ont trouvé quelqu’un pour la diffusion.
Ça doit te prendre beaucoup de temps de lire tous les projets qu’on t’envoie…
J’essaie de lire assez rapidement. Je travaille sept jours sur sept. J’arrive à me reposer quand je pars en week-end. Je lis quand je prends le train pour aller à Paris ou pour rentrer de Paris.
Qu’est-ce qui te pousse à défendre un spectacle ?
Déjà, je prends beaucoup d’artistes avec lesquels j’ai travaillé. Sur les trente-neuf spectacles que je défends à Avignon, pour la très grande majorité, j’ai déjà travaillé avec la compagnie ou les comédiens par le passé.
Ensuite, généralement, je demande une captation si le spectacle est déjà créé mais je ne m’appuie pas uniquement sur la captation, je suis à l’écoute de ce que la personne veut faire passer. J’ai pris par exemple Fred Faure pour Fini, la Comédie parce qu’il a quelque chose à raconter avec son spectacle sur Dalida au public. C’est une belle personne, je m’éclate en travaillant avec des personnes comme ça.
Un jour, un journaliste m’a attaqué sur mes choix. Avant que j’aie le temps de répondre, un autre journaliste a pris ma défense, arguant que mon éclectisme faisait ma richesse, que je prenais des spectacles auxquels personne ne croyait et que je faisais évoluer les artistes. Mon objectif est de faire monter les artistes en puissance. Et, pour moi, chacun a le droit de se produire.
Peux-tu donner des exemples de ton travail ?
Il y a dix ans, j’avais décelé un certain potentiel sur une proposition papier. J’arrive la veille du festival d’Avignon, et force est de constater que ce n’était pas vraiment ça, il y avait beaucoup de choses à revoir. Heureusement que la compagnie m’a demandé mon avis : je leur ai donné mon sentiment honnêtement. Du coup, on s’est servi d’Avignon pour travailler le spectacle, ce qui a permis d’aboutir au résultat souhaité : la version actuelle. Il faut savoir dire quand ça ne va pas. Ce n’est pas facile mais je le fais. On a un rôle de conseil. En tout cas, c’est comme ça que je conçois le métier.
Pour moi, il n’y a pas de bon ou de mauvais spectacle. Il y a simplement des choses à travailler, à faire évoluer. Je ne suis certes pas artiste mais je vais au théâtre depuis l’âge de trois ans puisque je suis née à Avignon, que j’ai grandi avec le Festival d’Avignon et que toute ma vie, je suis allée au théâtre. Quand quelqu’un a quelque chose, je le sens, je sens le potentiel immédiatement.
Le travail d’un artiste est rude, il y a un investissement considérable en temps comme en argent, un investissement humain.
Tu as commencé comme propriétaire de bar culturel, cela n’est pas banal. Pourrais-tu nous expliquer ton parcours ?
Quand j’étais jeune, je voulais être attachée de presse. J’avais réussi tous les concours, notamment l’E.F.A.P. à Lyon où j’étais acceptée en troisième année mais faute de moyens financiers, je me suis retrouvée propriétaire de bar.
Dès le début, j’ai accueilli des activités culturelles : théâtre, cours de chant, ce qui me permettait d’avoir une clientèle peu alcoolisée. J’ai appris par hasard un peu plus tard que le concept de bar culturel existait : j’ai intégré le collectif BAR BARS et je suis devenu le premier bar culturel du sud de la France. Je voulais absolument faire Avignon dans mon bar et la première fois, j’étais programmée dans le In, pas dans le Off ! Tous les grands cultureux du centre-ville d’Avignon arrivaient avec leur programme sous le bras, le programme du In, pour écouter dans mon bar de la poésie sur Marilyn Monroe. Ça a cartonné ! Du coup, l’année d’après, je me suis lancée dans le Off, je programmais les compagnies qui venaient déjà jouer gratuitement chez moi. Beaucoup d’artistes étaient présents, notamment : Serge Valetti, Arthur Jugnot, le photographe Hans Sylvester, le producteur Joël Cantonna, les acteurs de Plus belle la vie… Ça a super bien marché. Ensuite, j’ai vendu. C’est alors que les compagnies, qui venaient jouer chez moi gratuitement, m’ont contactée. Elles m’ont suggéré de devenir attachée de presse car je connaissais tout le monde, y compris la presse nationale.
J’avais même eu droit à un article dans Le Point, c’était quelque chose, surtout à l’époque. Le journaliste est venu dans mon bar et m’a dit de but en blanc : « je veux vous interviewer parce qu’il paraît que vous avez un lieu merveilleux ». Et j’ai répondu : « Moi, je suis la reine d’Angleterre », et c’était vrai. Il avait fait un spécial Avignon sur les lieux d’influence et avait titré : « Le bar culturel de l’Angle, l’Agora de la vie politique avignonnaise ». Je me suis occupée de dix compagnies la première année. Les années suivantes, le bouche à oreille a bien fonctionné. Puis, je suis montée à Paris : qui ne tente rien n’a rien. Ça a marché. Quand je forme des jeunes comme attachés de presse ou pour les métiers de la communication, je leur dis toujours : « Croyez en vos rêves et allez jusqu’au bout »
Est-ce que tu peux revenir sur tes rapports avec les artistes ? Ça se passe bien, j’imagine.
Non, malheureusement, ça ne se passe pas bien tout le temps. Le problème d’un grand nombre d’artistes, c’est que quand tout va mal, c’est la faute de l’attaché de presse et quand tout va bien, c’est grâce à eux. C’est un métier d’ego.
Le grand problème, c’est que chacun veut absolument passer à la télé et avoir des articles dans la presse à gros tirage.
Seulement, la presse nationale ne se soucie quasiment que des têtes d’affiche. Mais qu’entend-elle par têtes d’affiche ? Ce qui intéresse les grands médias est d’avoir des artistes vus à la télé ou connus du grand public. Je pense que ces médias ont tort et cela explique que les jeunes ne s’intéressent plus aux médias traditionnels, qui bien souvent mettent en avant les mêmes personnes.
Les émissions culturelles sont peu présentes dans l’audiovisuel où l’on privilégie le fait divers au détriment de l’art.
Cet état de fait implique d’être clair dès le départ : je dis à mes artistes qu’il n’y aura pas de télés. C’est difficile à entendre, mais moi je joue franc jeu.
Tu as tout de même un beau carnet d’adresse que beaucoup t’envient.
J’ai de grands médias qui me suivent, je les remercie mais j’aimerais bien que certains médias soient plus sensibles à la nouveauté.
Ce qui serait bien, ce serait qu’ils se demandent si mettre en lumière de nouveaux talents n’est pas une de leurs missions fondamentales. Clémence Baron ou Taha Mansour, je lutte pour les faire connaître depuis des années. Taha Mansour se produit tout seul avec deux spectacles à Paris. Il a vingt-six ans. Il a fait Centrale : il est sorti dans les premiers de sa promo. Il était éligible aux Molières. Dix personnes détentrices de la carte Molière sont venues voir son spectacle, à peine : comment peut-on juger un spectacle qu’on n’a pas vu ?
Avant, il y avait des dénicheurs de talent, comme Patrick Sébastien, Laurent Ruquier, qui les faisaient connaître mais ils n’ont plus d’émission. À part Incroyable talent, il n’y a rien pour promouvoir la création.
Comment te définirais-tu?
Une galérienne, c’est la galère ! Je rame à contre-courant, surtout que je ne corresponds pas à l’image d’Épinal de l’attachée de presse, avec mon franc-parler, loin des standards du parisianisme.
Pourquoi Hanouna est-il regardé par deux millions de personnes ? Parce qu’il met en avant des inconnus. Il exploite certes le filon des faits divers mais en invitant de parfaits inconnus.
Heureusement que j’arrive à avoir la matinale de France Info TV qui m’aide beaucoup ainsi que France 3, qui est un soutien indéfectible.
Exercer le métier comme tu le fais, toi, c’est très exigeant…
C’est exigeant, éreintant et psychologiquement très difficile. On nous parle d’Europe et on reproche à certains des spectacles que je défends d’être provinciaux. C’est d’autant plus incompréhensible quand l’actrice est parisienne et que ton interlocuteur te dit : « c’est pas parisien ». Et lui même est-il parisien de souche?
Quelle est la qualité la plus importante pour être un bon attaché de presse ?
Il faut aimer parler, dialoguer, discuter, échanger. Les relations humaines sont déterminantes. Être humain et tenir ses engagements.
Quelle est ta plus grande réussite ?
Taha Mansour avec L’Effet papillon. Tout le chemin parcouru pour arriver jusqu’aux Molières. C’est une belle réussite.
Le Radeau de la Méduse, Anne Cangelosi, et puis Clémence Baron qui est mise en scène par Patrick Zard dans Les Enfants du Diable.