
Ginkgo Biloba théâtre
- Auteur : Serge Pey
- Adaptation, mise en scène, jeu : Eva Castro
- Avec : Eva Castro
- Collaboration artistique : Philippe Renault
- Assistante à la mise en scène : Judith Marvan
- Réalisation bande-son : Colin Favre-Bulle
- Création graphique : Jacques Larguier
Un moment rare.
La performance d’Eva Castro est époustouflante. Elle fait vivre les mots de Serge Pey. On peut même dire qu’elle les fait danser grâce à un travail sur le corps qui transporte le spectateur. La voix douce de la comédienne nous emporte dans l’Espagne de Franco et de son successeur, où les droits des êtres humains sont mis à mal .
La réflexion sur la liberté et la résistance à l’oppression est poignante. Le témoignage de Serge Pey si dense et si poétique est rendu avec une sensibilité infinie par Eva Castro, qui donne à voir les situations parfois cocasses narrées par l’écrivain.
On a l’impression que les souvenirs évoqués sont les siens. L’épisode du cinéma est frappant : on croit assister à la séance avec l’artiste sur la plage, avec les spectateurs qui n’ont pas payé, apercevant les images par transparence. L’illusion est totale tant l’interprète est habitée.
Le passage sur le convoi où les résistants sont emmenés dans des wagons à bestiaux par les fascistes est d’une puissance telle qu’on a le cœur serré. La lutte entre ceux qui veulent s’évader et ceux qui se résignent suscite émotion et réflexion. La question de la dignité de l’homme est posée : ne faut-il pas se révolter d’abord contre ses camarades apathiques pour défendre sa liberté avant de triompher de l’ennemi ?
L’image poétique de la porte qui devient table pour accueillir son prochain est une image qui marque le spectateur. On voit cette porte et les convives alors que la comédienne est dans un décor nu. La présence, les regards habités d’Eva Castro nous touchent au tréfonds du cœur.
Les chants des Républicains espagnols nous émeuvent, tels Giroflé-Girofla, où on entend : « On te tuera pour te faire taire, par derrière comme un chien…
Et tout ça pour rien ! Et tout ça pour rien ! »
Ce qui n’était qu’une page d’Histoire devient une réalité concrète grâce aux mots de Serge Pey et à sa passeuse inspirée.
La mère de l’auteur invente un nouveau langage pour indiquer aux partisans de la liberté la présence ou l’absence de danger selon la disposition de vêtements près de sa maison. Ce langage est au service de l’humain.
Si les mots, les images de Serge Pey sont sublimes, Eva Castro donne à voir un spectacle aussi exigeant que le livre dont il est tiré.
Une pièce instructive qui ravira les spectateurs qui s’intéressent à l’essence de l’humanité, aux questions fondamentales mais aussi les amoureux du théâtre et de la poésie.
Les professeurs seraient bien inspirés d’emmener leurs élèves voir ce spectacle vivifiant, qui sort des sentiers battus, célèbre l’humanité et nourrit la réflexion.
Un des plus beaux spectacles que j’ai vu ces derniers temps.
Publié le 7 décembre 2024.
A la Manufacture des Abbesses jusqu’au 11 janvier 2025.